Comparaison: les questions monétaires

La question de la couverture métallique des substituts monétaires



1 Présentation du problème

La question de la couverture des substituts monétaires a été longuement évoquée et il convient d’y revenir une dernière fois pour trancher entre les deux branches de la Currency Free Banking School. En fait, les partisans des réserves à 100 % veulent absolument empêcher la création de fausse monnaie dans le système bancaire. Le problème est qu’aucun système de banques libres ne présente un taux de couverture à 100 %. L’apport des travaux est de montrer qu’un système bancaire avec des réserves fractionnaires n’est pas nécessairement en mesure de créer de la fausse monnaie. En fait, ce qui empêche la création de fausse monnaie par le système bancaire, c’est la liberté à l’entrée et non pas une obligation réglementaire de couvrir l’émission de substituts monétaires par des réserves à 100 %. Nous invitons le lecteur à constater le paradoxe des taux de couverture : en fait, les systèmes à privilège présentent des taux de couverture bien plus élevés que les systèmes de banques libres. Nous allons l’expliquer maintenant par la comparaison entre la BdF et le Massachusetts.


2 La comparaison entre les banques du Massachusetts et de la BdF

Les économistes de l'époque (Carey, Hildreth, Coquelin) ont fait remarquer un paradoxe. Bien que les taux de couverture soient plus élevés en France qu'au Massachusetts les ruées et les crises y sont plus fortes et plus fréquentes. Les calculs sur les taux de couverture confirment leurs observations. Ainsi la Banque de France a un taux de couverture moyen des billets et des dépôts de 58 % entre 1800-1870 tandis que celui des banques du Massachusetts est de 23 % (1803-37) et de 17 % pour 1858. Ce paradoxe pour les économistes du dix-neuvième siècle s'explique par la liberté d'établissement des banques qui permet la « récolte » d'une épargne abondante en Nouvelle Angleterre. Cette abondance contraste avec la « thésaurisation » contrainte observée en France où la conséquence d'absence de liberté bancaire engendre en même temps la faiblesse et l'instabilité du crédit.

Au Massachusetts l'utilisateur de billet a le choix entre plusieurs banques. Chaque banque s'efforce d'attirer l'utilisateur de billet et elle doit inspirer confiance. La composition du passif est l'élément qui rassure les utilisateurs de billets. Si les actionnaires sont majoritairement impliqués en cas de faillite, ils ne pratiqueront pas l'expansion artificielle de crédit. Inversement, la Banque de France est obligée d'investir en capital marque pour faire accepter ses billets. La détention d'encaisse en grande quantité est un signe pour inspirer la confiance. Cela lui permet en même temps de ne pas partager la rente de monopole avec d'autres actionnaires.

Ce qui explique la faible détention de réserves au Massachusetts c'est que leur solvabilité est le moyen principal de leur liquidité. En effet, une banque peut détenir jusqu'à 20 % d'actifs irrécouvrables sans que la banque ne fasse faillite. De plus en cas de demande de remboursement, la banque est en mesure de négocier à perte des créances pour acheter de l'or ou de l'argent afin de rembourser les détenteurs de billets ou de dépôts à vue. Elle peut accepter de faire des pertes sur une courte période pour maintenir l'actif incorporel qui est essentiel pour elle: son capital marque, et la confiance du public dans le remboursement immédiat de ses dettes à vue (billets et dépôts). Enfin, il faut souligner que les services rendus en termes de moyens de paiement fiduciaires par la Banque de France sont très limités : un billet de 500 francs représente deux années de salaire d’une femme sans qualifications en 1801 . Les agents ont très peu utilisé les billets de la Banque de France. Les banques du Massachusetts font circuler des billets de 1, 2 ou 5 dollars (soit 5, 10 ou 25 francs) pour un niveau de vie deux fois plus élevé que le niveau de vie français.


3 Conclusion

Les partisans des réserves à 100 % ne voient qu’une partie du problème. Certes, il convient d’empêcher le système bancaire d’émettre de la fausse monnaie, mais ce ne sont pas les réserves fractionnaires qui permettent d’accroître le montant de fausse monnaie pour financer le crédit artificiel. Ce sont les restrictions de concurrence ou les privilèges réglementaires qui permettent d’accroître le montant de fausse monnaie.

Bureau of the Census, Historical Statistics of the United States, Colonial Times to 1970, Washington D.C., 1975.
Jean Fourastié, La réalité économique, page 235.